30 déc. 22
A table avec Heidi, Recettes intemporelles de la Suisse éternelle
(D.R.) (Photos Lisa Ritaine) (Studio Ghibli)Petite orpheline dont l'histoire édifiante est née de l'imagination de l'auteure suisse alémanique Johanna Spyri (1827-1901), Heidi est l'un des mythes fondateurs de l'imaginaire collectif de la Suisse depuis 150 ans, l'incarnation idéalisée d'une fédération de peuples qui se rêve en nation " romantique et proche de la nature".
Edité à des millions d'exemplaires dans le monde entier, décliné en documentaires, films (dont celui du réalisateur italien Luigi Comencini), dessins animés (dans les années 1970, la série japonaise du futur Studio Ghibli a connu un immense succès), ce grand classique de la littérature pour enfants joue à fond la carte de l' innocence de l'enfance confrontée à un monde d'adultes et de l' opposition entre la modernité et "un passé intemporel incarné par la vie à la montagne". Et quoi de plus naturel et naturaliste que la cuisine des terroirs, les baies sauvages, les légumes que l'on dit oubliés et le bon lait des vaches des Alpes suisses ?
Avec A table avec Heidi, publié en janvier 2023 aux Editions Favre, Isabelle Fauconnier et Anne Martinetti explorent le volet culinaire des valeurs universelles véhiculées par la jeune héroïne. En analysant le succès planétaire du phénomène Heidi, en nous entrainant à sa suite à travers pâturages et alpages vers Maienfeld, le village où l'histoire a pris naissance, nous faisant visiter le chalet (imaginaire mais bien réel...) du grand-père de la fillette, les deux auteures soulignent le caractère symbolique de la nourriture et des repas dans l'univers narratif de Johanna Spyri. Et nous renvoient aux préoccupations actuelles en faveur d'une alimentation saine et raisonnée.
Au delà du paysage immuable de carte postale dans lequel Heidi évolue, Isabelle Fauconnier et Anne Martinetti ont su dépasser le cliché de la Suisse éternelle et remonter à la source d'une cinquantaine de recettes ancrées dans la diversité des terroirs, de l'histoire culturelle et des traditions culinaires des cantons de la Suisse .
Pour évoquer la vie de Heidi en montagne, l'ouvrage choisit des nourritures cuites au chandron, que la jeune orpheline aurait pu partager autour d'un feu de bois ou auprès de l'âtre avec les paysans et fermiers des alpages, comme la Soupe de Pierre, la Compotée de choux au lard ou les Gâteaux de l'aieule à la farine d'épeautre. A l'occasion de la recette du Bundnerfleish, on apprend que l'élaboration des viandes des Grisons réclame pas moins d'une trentaine d'étapes -dont le séchage de ces pièces nobles de boeuf après salaison avec sels, épices et herbes des Alpes- et que, pour les Croûtes aux champignons, le fromage de Gruyère doit son nom à la région du canton de Fribourg où il est produit.
Comme dans sa jeune existence Heidi a fini par quitter les alpages pour aller vivre en ville, l'ouvrage rend hommage à quelques belles recettes de la cuisine bourgeoise du 19ème siècle à Franfort, Lausanne et Zurich, comme la Dorade farcie, le Bavarois aux amandes ou l' Omble chevalier à la viande des Grisons , ce poisson considéré aujourd'hui comme un mets raffiné que l'on pêchait déjà au début de l'âge de pierre dans les lacs de l'arc alpin.
Survolant la Suisse en suivant Heidi, les auteures puisent quelques recettes dans l'histoire et les traditions culinaires des différents cantons. Avec par exemple la Polenta au four (cette bouillie de farine de maïs fut, pendant des siècles, avec la châtaigne, l'aliment de base de la population du Tessin en proie à la famine), la Tarte aux prunes (que depuis 1832 on mange le 3ème dimanche de septembre dans les cantons protestants de la Suisse romande, pour célébrer le jour du Jeûne fédéral) ou encore la Tourte d'Engadine, dont on apprend que, créée en 1930 dans le village de Pontresina, elle s'avère plus sophistiquée que sa grande soeur, la Tourte aux noix des Grisons qui, elle, ne comprend pas d'amandes.
S'il doit y avoir une morale dans les rapports que la jeune Heidi entretient avec la nourriture, il faut la trouver dans le message subliminal que Johanna Spyri instille dans ses deux romans: "La bonne nourriture est celle qui vient du coeur et qui vous est offerte par une personne qui vous aime. Et qui a un lien direct avec l'environnement naturel".