J’ai des moments de tristesse, des moments pas vraiment expliqués, des moments mélancoliques et c’est tout.
Tout va très bien, du moins j’en ai l’impression, mais cette mélancolie, ce coeur un peu fatigué, il fait partie de moi. J’ai l’impression d’être un mélange de rire et de mélancolie, tout le temps.
Je crois que si un jour je n’étais plus mélancolique, c’est que je serais morte. Ou quelqu’un d’autre. J’arrive pas à imaginer ma vie autrement que ce mélange à la fois complexe et logique de chaleur, de tristesse et d’amour.
Quand je suis triste, en fait, je pense à ma famille. J’ai l’impression que c’est hyper slave cette vieille tristesse qu’on habille de rire, de chaleur et de bonne bouffe. Être à la fois expansifs et pudiques.
On s’engueule, on s’agace, on s’aime, on mange, on pleure, on rit. On est un clan. On écoute les histoires de mes grands-parents, on parle du froid de la Sibérie mais jamais des histoires tristes. Il nous raconte comme sa mère était forte, comme il était heureux quand ils sont rentrés.
J’ai le sentiment que la mélancolie de ma famille, je l’aurai toujours dans le coeur, ce caractère sans demi-mesure, quitte ou double.
On a le coeur brisé à chaque fois qu’il arrive un truc naze à l’un des nôtres, on parle du passé, on regarde des photos, on se serre dans les bras. Ce lien affectionnel est presque animal : tactile, démonstratif, intense.
Quand l’un de nous est loin, tout le monde y pense.
Ma mère nous compare souvent à une meute de loup. Moi, je suis l’aînée de tout ce bazar de frères, de soeurs, de cousins et de cousines.
J’aimerais prendre soin d’eux, j’aimerais prendre soin de mes grands-parents qui ne vont plus si bien. J’aimerais revenir aux vacances à la campagne, aux pierogis et aux chansons polonaises le soir.
Quand on était en bonne santé, que j’avais pas d’opinions politiques et que je conduisais sur les genoux de mon grand-père.
Ma mère m’a toujours dit qu’on était jamais prophète en son pays, qu’il fallait savoir quitter ce qu’on aimait parfois même si ça fait mal, pour trouver le bonheur ou la reconnaissance. Et maintenant, j’ai l’impression que l’Angleterre est une suite logique à ma vie, que je devais partir pour recommencer.
J’écris pas souvent sur ma famille, parce que c’est un des sujets sur lesquels je suis pudique, et qu’il y faudrait des livres entiers pour chaque personne. Mais depuis ici, je pense à eux, ils sont loin, malades parfois.
Ils pensent tous à moi, et moi à eux, et quand je suis triste, j’ai l’impression d’être avec eux.