31 déc. 23
Les délices d'Edo, La gastronomie dans les estampes japonaises
Inscrite depuis 2013 au patrimoine immatériel de l'Unesco, " la gastronomie japonaise n'en finit pas d'inspirer les grands chefs du monde entier. La saveur umami, le fruit yuzu et les algues kombu font désormais partie de leur vocabulaire."
On sait pourtant peu de choses en Occident sur l'histoire de cette culture culinaire " raffinée, savoureuse, diététique, équilibrée, d'un esthétisme rare", dont les codes ont été fixés à l'époque d'Edo, la période de paix et de richesse culturelle et artistique que l'archipel nippon a connue entre 1603 et 1868.
Professeure d'histoire de l'art et de littérature comparée à l'université Musashi (Tokyo), Brigitte Koyama-Richard donne aux amateurs d'art et de gastronomie la chance de découvrir les traditions, les moeurs et l'art culinaire des Japonais à travers le décryptage de rouleaux peints emakimono et d'estampes en particulier des grands maîtres comme Hokusai, Toyokuni, Hiroshige.
Dans l'ouvrage Les Délices d'Edo, publié en octobre 2023 aux Editions Flammarion, cette spécialiste a sélectionné dans les musées et dans les archives d' sushis, makis, tempura et autres brochettes de tofu à l'époque même où s'inventaient les saveurs liées à l'utilisation des algues kombu, du yuzu, du mochi ou du miso. Ajinomoto, leleader de l'industrie agro-alimentaire nationale, des oeuvres d'art montrant
Pêche au filet, femmes remontant en apnée des ormeaux des eaux glacées d'Ise-Shima, récolte d'algues, cueillette des champignons, de kakis, de pastèques, chasse au sanglier, animations de rue dans le quartier de Nihonbashi ou dans les marchés, art de la découpe du poisson, épluchage d'aubergines, préparation du riz ou des nouilles soba, fabrication de la sauce de soja, du tofu ou des mochi, festin réunissant des lutteurs de sumô, immersion dans un restaurant spécialisé dans les recettes d'anguilles, cérémonies du thé, pique-niques sous les pruniers ou les cerisiers en fleurs, repas de fête...
C'est tout le rapport des Japonais à la nourriture qui est retranscrit dans ces narrations par l'image où, q ue ce soit dans la description de l'activité alimentaire agricole et artisanale ou dans les scènes conviviales ou intimistes, les rôles sont tenus dans ces oeuvres d'art tantôt par des acteurs en vogue ou des courtisanes tantôt par des anonymes. On assiste ainsi, par estampe interposée, à la préparation de mochis pour des acteurs du kabuki à l'occasion du Nouvel An.
Indépendamment de l'esthétisme et de la précision quasi-clinique des scènes, l'humour et une certaine forme de modernité y sont présents. Le maître Hiroshige parodie par exemple une célèbre bataille historique dans un combat où un samourai arbore un casque orné de grains de riz et où les soldats sont armés d'une brochette à gâteaux et d'ustensiles à fabriquer des mochi et du saké. Une estampe s'attarde sur la collation de personnages fatigués d'avoir participé au " grand ménage hivernal" dans une auberge, tandis qu'une autre datant de 1851 fait la promotion de la maison Toraya, une pâtisserie de Tokyo encore célèbre aujourd'hui (depuis 5 siècles), en mettant à l'honneur ses boîtes de livraison de gâteaux. Surprenant également de constater, en admirant les échoppes mobiles des marchands de soba, que l'époque Edo avait déjà sans le savoir inventé le concept de street-food !