08 nov. 23
Absinthe, L'alcool bohème au parfum d'interdit
(D.R.)
Barbara l'a chantée, Verlaine, Rimbaud, Zola, Baudelaire, Poe, Apollinaire, Maupassant, Daudet, Colette, Hemingway, Pagnol et quelques autres l'ont évoquée dans leurs oeuvres, Degas, Toulouse-Lautrec, Gauguin, Van Gogh, Picasso lui ont tiré le portrait. Grâce ou à cause de ces artistes, ce sulfureux apéritif au parfum d'interdit -considéré comme boisson nationale avant d'être frappé d'illégalité pendant un siècle- est indissolublement associé " à des images de déchéance, de folie et de crime. La vision de Van Gogh se coupant l'oreille (...) revient en tête. N'était-il pas, lui aussi, un buveur d'absinthe ?"
Truite confite, vinaigrette à l'absinthe (Photos Tamara Berger)Membre du comité du Patrimoine culinaire suisse et du mouvement Slow Food, Tania Brasseur consacre une longue enquête à l'absinthe, depuis les Hauts plateaux du Jura franco-suisse, berceau de la plante Artemisia absinthium et point de départ de la mythologie de cet alcool si aimé des artistes de l'Entre-deux Guerres et si décrié car accusé de rendre fou, jusqu'aux tables de Chef(fe)s branché(e)s de Suisse.
Dans , publié en septembre 2023 chez l'éditeur de jeux de société et de livres Helvetiq , s'entrechoquent découvertes botaniques, anecdotes historiques, histoire de l'art, épopées coloniales, témoignages de paysans et d'artisans distillateurs, transmission d'un héritage technique et culturel, innovations technologiques, recettes de cuisine contemporaines. On y croise quelques figures marquantes de l'épopée de la Fée verte: le major Dubied, négociant distilleur, fondateur de la maison Dubied-Duval, négociant de dentelles de 1785 à 1821... et fabricant d'absinthe dès 1797, son gendre et associé Henri-Louis Pernod (un nom qui parle aujourd'hui encore dans l'univers des spiritueux), lui-même fils d'un bouilleur de cru originaire des Ponts-de-Martel, Willy Bovet, distillateur réputé du Val-de-Travers qui s'était lancé dans la production d'absinthe pendant la période de prohibition (à partir de 1915) et dont la fille Françoise poursuit aujourd'hui l'oeuvre. Ou encore François Mitterrand qui, en visite à Neuchâtel, s'était vu offrir un soufflé "à la fée" alors même que cet alcool était encore à l'index !
Connue depuis l'Antiquité sous forme d'infusion ou de poudre pour ses vertus thérapeutiques, la plante une fois distillée (la première recette d'absinthe distillée remonte à la fin du 18e siècle) doit au colonialisme d'être passée au rang de boisson à la mode. Tout au long du 19ème siècle, l'absinthe va être de toutes les campagnes coloniales, de l'Afrique du Nord à Madagascar, en passant par l'Asie, à l'image de ce zouave, soldat algérien de l'i nfanterie coloniale créé en 1830, brandissant un flacon d'alcool dans une publicité de la maison Mugnier. Dans la soldatesque et chez les occupants qui en feront leur boisson favorite ... mais jamais dans les populations autochtones qui se garderont bien de la consommer. À leur retour d'Algérie, les soldats et officiers de l'armée coloniale importeront en métropole l'habitude et le plaisir d'en boire, les Grands Boulevards parisiens et la Belle Epoque devenant très vite les étendards de l'engouement pour la Fée verte.
Durant la période de paix entre la guerre de 1870 et celle de 1914, " . C'est l'âge d'or de l'absinthe. Jusqu'à la promulgation de la la foi dans le progrès technique et économique prédomine. L'avenir et la modernité inspirent confiance. L'insouciance règne". loi de 1915 qui signe l'arrêt de mort de la Fée verte dans l'Hexagone. En ligne de mire, la nocivité présumée de thuyone, cette molécule dont on dit qu'elle rend fou, accusée d'avoir notamment provoqué la folie de Van Gogh. sa propre faune, son propre cénacle", raconte Tania Brasseur Militaires, bourgeois, artistes, écrivains, journalistes, hommes politiques et demi-mondaines s'emparent de cet élixir euphorisant, chaque café possèdant "
Au retour de la guerre, les distillateurs de la région de Pontarlier, mais aussi de tout le reste de la France, n'auront plus qu'à brûler leurs stocks de plantes devenus inutilisables. La voie est libre pour la contrebande et la clandestinité !
Une épopée passionnante pour un alcool dont la notoriété a survécu à près d'un siècle d'interdiction et qui, depuis 2005, fait son retour dans les bars et les cuisines branchées. Côté Mixologie, Tania Brasseur conseille de "Tamara Hussian pour sa Truite confite, vinaigrette à l'absinthe, Alba Farnós Viñals et ses Crevettes, bisque à l'absinthe et sabayon à l'os à moelle ou le dessert Baba à l'absinthe et sa crème à l'aspérule de Jonas Bolle . se méfier des absinthes de couleur vert fluo, c'est un signe qu'elles ont été teintes avec des colorants. Une absinthe n'aura jamais la couleur d'un sirop à la menthe !". Côté gastronomie,elle livre les recettes de jeunes Chef(fe)s suisses comme