30 oct. 23
Et si Madame Mérigot avait inventé les frites ?
Publicité Végétaline 1967 (
Son nom n'est pas passé à la postérité, mais Madame Mérigot mériterait de figurer aux côtés d'Antoine-Augustin Parmentier dans la longue liste des adorateurs de la pomme de terre. Dans les années 1790, l'épouse de l'éditeur Jean-Gabriel Mérigot eut l'idée précurseure de proposer à son mari d' éditer un livre de recettes à base de pommes de terre. Drôle de prémonition à une époque où le tubercule peinait encore à s'imposer dans l'assiette des Français en cette fin du 18ème siècle.
Quelques années plus tard, en 1795, les Editions Mérigot Jeune publiait la Dans première monographie culinaire consacrée à cette solénacée originaire du Chili et du Pérou. La cuisine républicaine, étaient répertoriées 31 recettes à base de pommes de terre, y compris ce que d'aucuns considèrent comme la première recette de pommes frites publiée dans la langue de Molière (des potatoes fritters figuraient déjà dans un ouvrage paru à Londres en 1733). Evidemment, l e nom de Madame n'est pas mentionné dans l'ouvrage. Impossible à l'époque de publier un livre -en particulier de cuisine ou de gastronomie- qui aurait été signé par une femme !
Cette anecdote aussi historique que croustillante (même si l'auteur se garde bien d'attribuer à la Veuve Mérigot la paternité de l'invention de la frite) figure, avec quelques dizaines d'autres, dans le livre La frite de Madame Mérigot que le bibliophile suisse Henri-Daniel Wibaut a publié en octobre 2023 aux Editions 41.
La frite de Madame Mérigot, Henri-Daniel Wibaut, Editions 41Illustration de Raoul Dufy pour "
Selon l'éditeur, "l'histoire de la gastronomie foisonne de personnages hauts en couleur, de destins extraordinaires et de mets avant-gardistes ou impossibles, dont l'héritage figure pourtant aujourd'hui dans les cartes des restaurants ou au menu de nos dimanches. La plupart sont tombés dans l'oubli depuis des décennies, voire des siècles, et n'apparaissent plus que dans les pages de livres devenus si rares que certains collectionneurs n'hésitent pas à débourser des fortunes pour les acquérir" .
Ce sont ces personnages et leurs oeuvres que Henri-Daniel Wibaut fait revivre, du Moyen-Âge à nos jours. Soit une cinquantaine d'histoires surprenantes et truculentes qui ont elles aussi fondé notre gastronomie. Comme ce William Haywardt qui, soucieux que la solitude ne prive pas le solitaire " de la satisfaction bien légitime de manger convenablement" ne trouva rien de mieux en 1911 que d' écrire pour ses contemporains "célibataires, touristes, explorateurs, militaires, etc." le recueil intitulé L'homme sans femme, parfait cuisinier (un ouvrage aujourd'hui quasiment introuvable)poulet enveloppé d'une bonne couche de terre (glaise)" posé sur des cendres chaudes..., pour leur permettre de fabriquer leur propre limonade ou, même en rase campagne, savoir se préparer un "
Parmi les autres (indispensables !) questions auxquelles Henri-Daniel Wibaut apporte ses réponses circonstanciées et jubilatoires: Par quel mystère Germain Chevet, jardinier du Roi, échappe-t-il à la guillotine, avant de fonder une échoppe gastronomique au Palais-Royal où se va bientôt se presser le Tout-Paris ? Quelle société de négoces de vin a-t-elle demandé en 1936 au peintre Raoul Dufy d'illustrer l'ouvrage Mon docteur le vin vantant les "vertus du sang de Bacchus" ?
Ou encore: Quels principes alimentaires de longévité Luigi Cornaro, Vénitien à la vie débauchée au 15ème siècle, a-t-il professé, avant de s'éteindre lui-même à l'âge avancé de 102 ans ? Pourquoi la recette de homard est-elle passée en 1938 d'américaine à armoricaine ? Qui est l'actrice italienne héroïne du livre In Cucina com Amore publié en 1971, "l'un des plus difficiles à trouver dans sa version originale italienne" ?
L'auteur dans sa librairie (
Après une carrière d'enseignant et de traducteur,qui " Henri-Daniel Wibaut a créé en 2004 à Lausanne la librairie Gastéréa (qui doit son nom à la muse N°10 préside aux jouissances du goût" créée par Brillat-Savarin en 1826) consacrée aux livres anciens et modernes dédiés à la gastronomie, à l'œnologie et à la littérature gourmande. Emblématique du cœur historique de la capitale du canton de Vaud, elle est l'adresse de référence pour les collectionneurs de l'histoire du goût dans le monde entier.