30 sept. 23
Jonathan Piksou, Anthropologie critique de la vie en ville
(Photo Catherine Thenes)
"Vivre en ville est de plus en plus invivable" mais pratiquement chacun d'entre nous connaitre l'expérience de vivre, d'avoir vécu ou de vouloir vivre dans un environnement urbain. Dans ce " entassement de strates, de castes, de cases dans lesquelles chacun évolue, circule, se perd, se renie, disparait ou se révèle", les règles sont relativement simples: " faire son trou, y demeurer et sortir le nez de temps en temps, au parc ou au restaurant, chez des amis ou des commerçants, pour voir ce qui s'y passe et ce qui s'y di t".
(D.R.)A cet " admirable objet d'observation continuellement renouvelé" qu'est la cité moderne, l'écrivain-journaliste Jonathan Siksou consacre un réjouissant ouvrage qui passe au crible de sa culture historique et littéraire, de son humour caustique et de ses partis pris les charmes et les travers de ceux qui comme lui, contraints ou forcés... ou pas, vivent leur vie à proximité, à côté ou au milieu de celles des autres.
(©Actu Bordeaux / Nicolas Gosselin)Dans, publié en août 2023 aux Editions du Cerf, Jonathan Siksou se fait anthropologue de la vie de ses frères et soeurs en urbanité. Déambulant d'un siècle, d'un continent et d'un auteur à l'autre, il sonde les reins et les coeurs des citadins une fois rentrés dans leurs appartements (" passée la porte, on pénètre dans son propre monde, celui de sa liberté entre quatre murs"), déambule dans la verdure de Gramercy Park à New-York, fait des achats au marché Victor-Hugo de Toulouse et au KaDeWe de Berlin, observe que, malgré l'évolution des moeurs, les bonnes vieilles traditions perdurent dans la boucherie ou la boulange (Monsieur s'affaire au four à pain tandis que Madame est à la boutique pour servir baguettes et croissants), s'invite dans le dédale des tuyaux de l'orgue de l'Eglise Saint Eustache, s'émerveille de l'ingéniosité des mécanismes des ascenseurs, s'interroge sur les notions de chef d'oeuvre et de culture en évoquant la Leçon d'anatomie de Rembrandt et le " bruyant défouloir" de La Nuit Blanche. Et finit par se ressourcer dans l'amité, ce partage vital de la bonne humeur qui offre " la possibilité de ressentir à plusieurs ce que l'on ressent tout seul".
Côté gastronomie, Jonathan Siksou est loin d'être fan des nouveaux usages en cours d'institutionnalisation. " Spontanéité et improvisation ne sont plus de ce monde", regrette-t-il. En particulier quand, simple quidam affamé, vous souhaitez au sortir d'une exposition ou d'un concert dîner dans un restaurant parisien sans en être passé d'abord par la réservation, cette habitude, de culture anglo-saxonne, qui "s'est imposée progressivement dans nos moeurs innocentes".
Et comme tout le monde ne se plie pas à ce diktat, cela crée, "en creux, un phénomène d'un genre nouveau lui aussi: la file d'attente". Dans un pays où ne règne pas de pénurie alimentaire, la queue, "cette manifestation de docilité inquiétante, de résignation collective", est devenue, par la seule grâce des injonctions de la "presse modeuse" une banale fatalité, "ni ordinaire ni ennuyeuse mais chic" !
Une pérégrination très personnelle entre vie quotidienne, citations littéraires et siècles passés, entre anecdotes vécues et choses vues, entre empathie partagée et misanthropie assumée, entre second degré et pathos. Car, dans , il est aussi question de solitude parmi ses semblables, des amis morts et de " ceux qui seraient des compagnons parfaits, voire idéals, pour couler en bateau ou s'écraser en avion", de temps suspendu et d'immortalité. Bref de la condition humaine en général et en ville en particulier, dans ce labyrinthe dont Walter Benjamin nous dit qu'il est "le rêve ancien de l'humanité".
Jonathan Siksou a déjà publié aux Éditions du Cerf Rayé de la carte-Sur les traces du Louvre oublié et Capitale, prix Transfuge du Meilleur essai 2021.